“Le roi ne meurt point”, cet adage de l’Ancien régime peut être transposé sans la moindre difficulté à l’impôt. Si l’histoire de France a vu défiler sous ses yeux des régimes politiques variés, une constante perdure : la levée des impôts.
Les Français et la puissance publique entretiennent un lien particulier avec cette dernière. L’impôt ne meurt point, mais il peut faire chuter le monarque qu’il soit d’essence divine ou issu des urnes, quand celui-ci s’aventure sur le terrain des réformes fiscales.
Le projet de loi de finances pour 2018 marque une étape importante dans le quinquennat du Président Emmanuel MACRON. L’avenir fiscal de la France y est pour partie en jeu. La refonte de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était l’une des promesses phare du candidat MACRON. Son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) vient d’être voté par l’Assemblée nationale il y a quelques jours.
Quels sont les enjeux politiques et économiques de ce nouvel impôt pour les entreprises et les particuliers ? CLIC FORMALITÉS a enquêté.
Accompagnement dans la création d’entreprise
1. Impôt de solidarité sur la fortune vs. Impôt sur la fortune immobilière : des enjeux fiscaux et politiques
Les députés ont voté, en première lecture, vendredi 20 octobre l’une des mesures emblématiques et tout aussi controversées du budget 2018 : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et son remplacement par un impôt sur le patrimoine immobilier, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Impôt sur la fortune : rappel historique
L’impôt sur la fortune a été introduit en 1981 après l’élection de François Mitterrand. En réalité cet impôt existait déjà depuis longtemps en Allemagne. Ce sont les Allemands qui l’ont institué la première fois à la fin du XIXe siècle dans le cadre des réformes de Bismarck.
La France, souvent à contre courant de ses partenaires européens l’institue, quand dans le même temps, les autres pays européens l’abandonnent progressivement. Ainsi, l’ISF « n’est plus perçu par les services fiscaux allemands depuis le 1er janvier 1997 faute pour le législateur de le rendre conforme à la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 22 juin 1995 ». Le législateur allemand s’est bien gardé depuis cette décision d’adapter sa législation à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
La création d’un impôt sur les grandes fortunes (IGF) était l’une des mesures phares au sein des “110 propositions” du candidat François MITTERRAND. Cette mesure sera définitivement adoptée le 19 décembre 1981 par le Parlement. Après sa suppression lors de l’arrivée de Jacques CHIRAC, chef du gouvernement d’une première cohabitation, cet impôt sur le patrimoine sera réintroduit sous le nom “d’impôt de solidarité sur la fortune” (ISF) en 1988 avec le retour, à l’Assemblée, d’une majorité socialiste. Depuis lors, les différents gouvernements n’ont plus osé s’attaquer frontalement à l’ISF.
La France a fait de cet impôt un symbole politique. Comme pour la TVA, l’ISF est avant tout un marqueur politique et idéologique. Il est donc toujours très difficile d’y toucher. Il suffit pour s’en convaincre de lire la plupart des articles rédigés par la doctrine. Les arguments en faveur de la suppression de l’ISF reposent la plupart du temps sur des considérations d’ordre économique, de rationalité et de rentabilité, où l’émotionnel est écarté. A contrario, les défenseurs de l’ISF s’’appuient sur des “arguments d’égalité pour le préserver [ce qui] semble humainement et politiquement compréhensible”. Ce discours relève plus du psychologique et du politique que de la neutralité fiscale ou de l’efficacité économique.
Le risque est donc grand pour le Président Macron de s’en prendre impunément à un totem fiscal de cette ampleur. Afin de ménager le chou et la chèvre il a donc opté pour une réforme que l’on peut qualifier en demi teinte.
Impôt sur la fortune immobilière : l’esprit de la réforme Macron
Sans supprimer totalement l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), le Président Emmanuel Macron soutenu par sa majorité parlementaire, a transformé celui-ci en impôt sur la fortune mobilière (IFI).
La philosophie qui sous-tend cette volonté politique est énoncée dans le texte de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :
“Pour stimuler l’investissement productif, risqué et innovant, l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sera transformé en Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) dès 2018 et un taux de prélèvement unique de 30 % sur les revenus de l’épargne sera également instauré en 2018, incluant les prélèvements sociaux. Dans un contexte de transition technologique profonde, le besoin en capital est encore plus important qu’hier et alléger sa fiscalité est devenu indispensable. Ces différentes mesures s’inscrivent également dans une logique de convergence européenne, puisque les taxes sur le capital ont, en France, un poids particulièrement élevé par rapport à nos partenaires européens. Outre le fait que ces mesures participent à l’effort de réduction du coût du capital, elles réorienteront l’épargne nationale vers le financement des entreprises”.
“Investir
Au-delà du soutien aux entreprises, les mesures fiscales de la trajectoire sur l’État visent à orienter l’épargne française vers l’investissement des entreprises qui prennent des risques, qui innovent et qui créent les emplois de demain. Ainsi un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital sera introduit. En parallèle l’impôt sur la fortune sera supprimé et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière. Enfin des mesures spécifiques sont prévues pour améliorer l’attractivité du territoire vis-à-vis des investissements étrangers, et notamment le développement de la place de Paris dans le contexte du Brexit”.
Cette réforme fiscale vise 2 objectifs principaux :
– orienter l’épargne des Français vers l’investissement productif en abaissant l’imposition du capital.
– freiner l’exil fiscal des Français les plus aisés et si possible les convaincre de revenir vivre en France au moment où le Brexit les fait fuir de Grande-Bretagne.
L’IFI concernera donc les contribuables qui possèdent un patrimoine immobilier net taxable, après déduction des dettes, supérieur à 1,3 million d’euros.
Mais derrière cette volonté affichée de favoriser l’investissement auprès des entreprises et plus particulièrement des entreprises innovantes et d’inciter les particuliers à investir dans le secteur entrepreneurial se cachent des incohérences voire des contresens économiques.
2. Impôt sur la fortune immobilière : l’impact réel sur les entreprises et le patrimoine
Le gouvernement en remplaçant l’ISF par un IFI veut encourager les placements productifs et décourager les placements immobiliers.
Supprimer l’impôt sur la fortune mais uniquement sur la part pesant dans les investissements des entreprises, c’est-à-dire sur l’investissement mobilier, et dans le même temps de le conserver sur l’immobilier est “un mauvais choix” fiscal selon le Professeur de fiscalité, Pierre Beltrame. L’une des conséquences principales va donc être “d’alourdir encore le poids fiscal qui pèse déjà sur l’immobilier et notamment sur l’immobilier locatif[…]. Si on supprime l’ISF, il faut le supprimer totalement. D’un point de vue de la rentabilité, cet impôt a un mauvais rendement, il rapporte actuellement entre 4 et 5 milliards par an ce qui ne représente quasiment rien au regard de l’ensemble des recettes fiscales totales nettes de l’Etat”. Pour 2016, il représente à peine 1,5% des recettes fiscales de l’Etat, alors que l’impôt sur le revenu représente 22,4% et la TVA près de 53%.
Ce choix est avant tout “une option politique” pour le Professeur Beltrame. À trop taxer l’immobilier, le gouvernement va finir par décourager les personnes voulant investir dans l’immobilier. “On retrouve des vieux comportements français qui consistent à considérer que le propriétaire immobilier est un rentier : la caricature du rentier du XIXème siècle, bedonnant avec sa chaîne en or, qui vient expulser le pauvre artiste”. Il faut sortir de ces clichés et regarder l’investisseur immobilier comme un véritable agent économique. Le président Macron et son gouvernement semblent oublier que “l’immobilier, excellent multiplicateur d’investissements et pourvoyeur d’emplois, en principe non « délocalisables », constitue un secteur stratégique de l’économie nationale[…]. Longtemps domaine privilégié de l’investissement public, le logement est désormais financé essentiellement par le recours aux capitaux privés. L’investisseur, propriétaire bailleur immobilier n’est donc pas seulement un épargnant, détenteur d’un patrimoine dont il tire des revenus, c’est un agent économique actif qui joue un rôle essentiel dans l’offre de logements. ”.
La suppression de l’ISF va certes en faveur de l’entreprise. En effet, cet impôt pèse sur les entreprises notamment les startups. À sa création, les actions attachées à la startup représentent une faible valeur. Quand la startup prospère, les actions peuvent rapidement voir leur valeur explosée. Une fiscalité lourde lors de la vente de ces actions peut freiner les investisseurs. En revanche, la suppression l’ISF sur le capital des entreprises placé en actions encourage l’investissement en action. La réforme d’Emmanuel MACRON est bien une aide directe à l’investissement mobilier.
Le gouvernement d’Edouard PHILIPPE soutient cette idée.
Cependant, ce raisonnement atteint ses limites quand il s’agit d’aborder le cas délicat des titres de Société Civile de Placement Immobilier (SCPI) ou d’Organisme de Placement Collectif Immobilier (OPCI). Les revenus tirés de ces placements immobiliers locatifs à long terme sont à la frontière entre le patrimoine immobilier et le patrimoine mobilier.
Si l’on considère que l’IFI concerne tous les placements immobiliers alors les SCPI, les OPCI comme les titres de sociétés foncières cotées en bourse devraient entrer dans l’assiette de cet impôt. Mais comme le rappelle le journal Le Monde, “ces placements, surtout investis dans l’immobilier d’entreprise, jouent un rôle important dans le financement de l’économie”. En outre, quand ces titres sont détenus via un contrat d’assurance, le propriétaire n’est autre que la compagnie d’assurance. Quid alors de l’investisseur : sera-t-il redevable de l’IFI ?
Cette réforme fiscale voulue par le Président Macron aura sans nul doute un impact sur le comportement des entreprises mais également des ménages. Plutôt que de jouer les Cassandre, l’Assemblée nationale a décidé d’instaurer une mission de suivi et d’évaluation des impacts économiques et sociaux du remplacement de l’ISF par l’IFI. Le premier ministre Edouard PHILIPPE a prévenu que changer le comportement des investisseurs ne se ferait pas du jour au lendemain. Le pari est audacieux dans un monde où le temps est une denrée rare.
Sources
– Patrick Artus et al., “Fiscalité des revenus du capital”, Notes du conseil d’analyse économique 2013/9 (n° 9), p. 1-12.
– Pierre Beltrame, “Pour une fiscalité pérenne de l’investissement immobilier locatif “, Les nouvelles fiscales – n° 1136 – 15 juin 2014 p. 27-32
–Pierre Beltrame, Entretien réalisé par CLIC FORMALITÉS, le 25 juillet 2017, Marseille
– Marie Chenevoy-Gueriaud, “L’impôt de solidarité sur la fortune : une évolution inachevée”, Droit prospectif, vol. 114, no 3, 2006, p. 1543.
– Jean-Édouard Colliard et Claire Montialoux, “Une brève histoire de l’impôt”, Regards croisés sur l’économie, vol. 1, no. 1, 2007, pp. 56-65
– Béatrice Majnoni d’Intignano, “Fin du fin de l’ISF ? “, Commentaire 2017/1 (n° 157), p. 65-67.